Comme en témoignent ces paroles d’Anciens réunies, la disparition brutale de leur Chef laisse la Division orpheline, 6 mois à peine avant la fin d’un combat dont les hommes de la D.F.L sont à l’avant-garde depuis déjà plus de quatre ans.
D’aucuns continuent de penser que ce tragique évènement eut des répercussions particulières sur la visibilité et la mémoire de la Division, privée de son plus fort symbole au moment où d’autres chefs des Forces françaises combattantes purent incarner et faire reconnaître leur place et leur rôle dans la Victoire. Et cette injustice restera gravée dans la mémoire de certains Anciens, comme le corollaire de la disparition du général Brosset.
MARC CROISY, radio du général BROSSET (Transmissions)
« A 7 h le général fit le tour de ses commandants de brigades pour les pousser en avant ; Nous repartîmes pour Champagney, Plancher-Bas puis Auxelles-Bas ... le général fut au premier rang. Il stimula par sa présence les troupes engagées. Il fut plus actif que jamais. Le 20 novembre quand nous arrivâmes sur le Rahin, le pont était miné et le génie travaillait. Comme malgré tout cela n'allait pas assez vite à son goût le général aida les démineurs. Nous partîmes en direction de Giromagny et dans la forêt, à la suite d'une mauvaise manœuvre la Jeep du général tomba dans un fossé. Il prit aussitôt celle d'un détachement de circulation et il me fit rester garder la Jeep accidentée. Je n'en menais pas large car j'étais seul dans la forêt et je savais que les Allemands étaient devant ; Le Général repartit suivi par la Jeep de transmissions ; je passai la nuit tapi dans la jeep et sans dormir. Le lendemain matin le B.M 24 vint me tirer jusqu'au Q G ; J'appris avec chagrin que le Général s'était tué. »
Courrier de Marc Croisy adressé à l’A.D.F.L en avril 2011. Marc Croisy est décédé en septembre 2011.
Henri DARRE (Régiment d’Artillerie)
« Nous avions tellement de souvenirs communs, que ce soit dans les Vosges où nous étions précisément à l’endroit où notre Général Brosset s’est tué en culbutant sa Jeep dans le parapet d’un pont ... un Général comme on en voit pas beaucoup … en novembre, dans la neige et la boue, tout le monde a pu le voir conduire sa jeep découverte, pare-brise abaissé, en short … avec sa sirène en action la plupart du temps … un vrai marsouin … »
Louis LECLERC (Génie)
« Ce mot me rappelle une note de service du général, ne manquant pas d’humour, et diffusée à un moment où trop nombreux étaient ceux qui refusaient de porter le casque, pour faire comme leur chef. Cette note disait à peu près ceci : « Je rappelle que le port du casque en opérations est obligatoire, c’est une protection indispensable et je ne souffrirai aucune dérogation. Si le général porte le képi, c’est pour se faire reconnaître de ses subordonnés. »
Source : « Mémoires de guerre d’un Français libre » du Lieutenant Louis Leclerc, les Editions La Bruyère – 1984
Victor MIRKIN (chef d'Etat-Major de la 4ème brigade coloniale)
Le 20 novembre, aux environs de Champagney, le général Brosset disparaît, emporté par un torrent. Le commandant Mirkin qui a été son collaborateur direct pendant de nombreux mois, est douloureusement atteint par cette perte brutale. Il confesse peu après à un ami : « Depuis que nous avons perdu notre général, je ne travaille plus par goût, seulement par devoir ». De nombreux traits leur étaient communs : courage, hardiesse, vigueur physique, rapidité de décision. Leur tempérament ne leur permettait pas d'attendre que les renseignements vinssent à eux ; ils allaient les chercher en première ligne. Tous deux considéraient que la place du chef était à l'avant, le plus en avant possible, pour mieux exercer son commandement. Ils avaient la même conception du devoir, le même idéal. En suivant l'enterrement de son chef, le commandant Mirkin disait : « Le général a succombé brusquement dans l'ambiance d'un grand succès. C'est une belle fin ». Un même destin devait lui être réservé : trois jours plus tard, il tombait à son tour, glorieusement, emportant la certitude d'une victoire dont il avait été l'un des plus brillants artisans.
Extrait de la Revue de la France Libre, n°35, février 1951.
André NOUSCHI (101e Compagnie du Train)
« Brosset était un type épatant. Quand nous sommes arrivés à Lyon avec un bon mois d’avance sur le programme, il a fait monter sa jeep sur les escaliers de l’hôtel de ville à la stupéfaction des lyonnais et aussi à la nôtre. Il avait conduit notre division en Italie jusqu’aux portes de Sienne, et nous avions une confiance incroyable en lui. Nous savions qu’il était casse-cou, d’un courage fou et d’une témérité totale. Garbay son successeur n’avait pas son allant et son panache. Il me rappelait les généraux de la Révolution; ce n’est pas peu dire. Son nom est à peine mentionné dans les manuels et dans l’histoire de la France Libre. Il a été un grand soldat, certes, mais aussi un très grand Français. Je me suis toujours étonné qu’à titre posthume De Gaulle n’en ait pas fait un maréchal de France. Il le méritait bien. Car sans son audace, la chute de Belfort aurait été retardée. »
André Nouschi est professeur émérite à l’Université de Nice. « À Alain Jacquot-Boileau, témoignage de novembre 2008 »
Pierre PASQUINI (DCR/QG 50)
« Dimanche 19 novembre 1944 - L’attaque a été déclenchée. Je vais au Cugnat. Le pilotage fonctionne bien. J’ai l’occasion d’aller enlever ma fameuse pancarte « Ennemi à 800 mètres » que je croyais perdue. Le Boche a décroché hier au soir en laissant des mines de tous côtés. J’essaie d’aller à Champagney qui est tombé par la Houillère. Le Génie est encore en train de déminer. Je vois Bouthemy qui est resté 40 jours dans une petite maison à 50 m des Boches, J’arrive à Champagney avec Destainville par la grand-route. Ronchamp n’est qu’un amas de ruines. Des véhicules continuent à sauter sur les mines. Beaucoup de ruines aussi à Champagney. Des drapeaux sur des ruines entre autres sur la gare. Un « entonnoir » de 10 m de diamètre. Le pont de Champagney a sauté. Le Général arrive avec Jean-Pierre Aumont et Pico et me demande si l’on peut passer. Je réponds catégoriquement « non », Il fiche sa jeep à l’eau et arrive à traverser. Sa Jeep radio y reste. ».
Ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre entre 1995 et 1997, Pierre Pasquini est décédé en 2006.
Henri PESENTI (Bataillon de Marche n°21)
« Le 19 novembre, l’après-midi, non loin du monument où il houspillait des fusiliers marins. Un obus perdu est tombé non loin de là et l’a éclaboussé. Dans la nuit qui a suivi le 19 novembre, nous sommes montés, avons suivi la ligne de chemin de fer jusqu’au tunnel (de la Chaillée). Il fallait faire attention en marchant car il y avait beaucoup de mines. Nous étions une centaine d’hommes. Au Pré Besson, des habitants nous ont offert la goutte. Nous avons libéré Sermamagny. Là, l’institutrice a absolument voulu que nous dormions dans un vrai lit avec des draps. Pourtant nous étions sales et boueux. Nous avons libéré La Chapelle-Sous-Chaux et nous nous sommes retrouvés près d’un lac. Et puis nous avons appris la mort du Général. Ce fut une grande tristesse. Ceux qui le connaissaient mieux encore, pleuraient. Puis nous avons poursuivi jusqu’à Masevaux, pendant que d’autres bataillons ont passé encore plus avant. C’était sa passion de rouler ainsi, il était fougueux et toujours en mouvement. » « Un autre général a pris sa place, le général Garbay qui était alors colonel. Je n’ai d’ailleurs jamais vu ce général alors qu’on avait souvent l’occasion de voir le général Brosset. »
Témoignage recueilli par les élèves de l'école du centre de Champagney le 18 novembre 2002
Elie ROSSETTI (11ème Cuirassiers - Vercors)
« Le 19 novembre, depuis cinq heures du matin, les moteurs des chars ronronnaient. Il fallait les faire chauffer car le temps était redevenu exécrable avec le dégel et la pluie. Tout le pays n’était plus qu’eau, neige et boue. Les arbres dégoulinaient, les rivières débordaient, le paysage blanc et noir sous les nuages était lugubre. Le moral de la division était quand même au beau fixe . A six heures, tout le monde était prêt, c’était le départ de l’offensive, la magnifique poussée en avant s’ébranlait . Dans l’aube froide et brumeuse, nous prîmes la direction de Champagney. Il faisait un temps pourri et les chars avaient à se battre avec le terrain où ils s’enfonçaient jusqu’au ventre. Des mines anti-personnelles sautaient, faisant morts et blessés chez les biffins que nous plaignions de voir patauger ainsi, chargés de leur armement et de leurs munitions et surtout par leurs habits gonflés d’eau. A midi, nous étions dans Champagney que les Allemands avaient abandonné. Sur la place de l’église, je discutais avec le chauffeur d’une ambulance stationnée à côté de nous. Tout d’un coup, une jeep s’arrêta, je reconnus Jean Pierre Aumont pour l’avoir quelquefois vu au cinéma.Celui qui était à son côté gauche sauta à terre, et, tout étonné de le voir en short je l’entendis crier : - Qui est le chauffeur de l’ambulance ? Mon voisin se mettant au garde à vous répondit : - C’est moi mon général ! Avant de s’entendre dire : - Ta place n’est pas ici, fonce ! Il reçut une magistrale engueulée. Je venais de faire connaissance avec le général Brosset. Ce que je venais de voir confirmait la réputation qu’il avait.
C’était un dur de dur, un fonceur, un vrai courant d’air avec sa jeep qui passait partout. Le lendemain, direction Auxelles-Bas. Les chars qui, sur la route se trouvaient sous les tirs des puissants 88 ennemis, prenaient la direction des bois. Dans un virage très prononcé, le Rahin gonflé par toutes les eaux qui descendaient des collines environnantes, venait se jeter contre le mur de pierres qui le sépare de la route. Vers le milieu du tournant, cette route qui va à Plancher-Bas passe sur un petit pont sous lequel passe un ruisseau qui vient se jeter dans la rivière.
Sur ce pont il y avait un trou avec une mine que les Allemands n’avaient pas eu le temps de faire exploser. Notre char passait doucement entre le trou et le fossé, guidé par le pouce d’un chasseur. A peine avions-nous fait quelques mètres qu’une jeep arriva à une vitesse folle. Le général Brosset conduisait ce véhicule avec à côté de lui son chauffeur Pico et sur le siège arrière Jean Pierre Aumont […]. Des bras se sont levés et un retentissant « Attention ! » est sorti de toutes les poitrines. Mais l’accident était inévitable ». Extrait du livre de Elie Rossetti : « Mes campagnes des Vosges et d’Alsace »
Rolf WEINBERG (QG 50)
« De retour à la division, le général Diego Brosset, sur ordre du général De Gaulle, m’a convoqué au QG 50. Après un long entretien en espagnol, langue que nous parlions tous les deux couramment, il m’a informé que j’étais muté au premier DCR, QG 50, une unité considéré comme unité d’élite. Je me suis trouvé là avec le sous-lieutenant Pierre Pasquini.
Je pense que rarement pendant cette guerre on n’a pu trouver des êtres aussi humains que Diego Brosset et Pierre Pasquini. J’ai pleuré comme un enfant lorsque le général Brosset est mort pour la libération de la France. »
Témoignage de 2006 ; Rolf Weinberg nous a quittés le 23 juin 2011