Mon Général, Vous avez pensé disait-on naguère, avoir une influence sur les jeunes de qui vous attendiez, pour la France, une réaction dont tout le monde sentait qu'elle avait besoin. Si mes 40 ans me classent encore parmi les demi-jeunes, peut-être trouverez-vous le temps de m'entendre. Le fait que je vive parmi des étrangers des deux mondes, hors de l'atmosphère de désastre où vivent les Français de mon âge que vous approchez me donne d'autre part le droit, peut-être le devoir, de parler. L'armistice a surpris l'étranger, on citait l'exemple de la Belgique deux fois envahie qui a deux fois refusé de se soumettre, de la Pologne, de la Hollande, mais, n'importe, on comprenait, après quelque recherche d'arguments favorables et aussi parce qu'on pensait que le gouvernement du Maréchal se souviendrait des leçons de Strasseman. L'affaire d'Oran a ouvert les yeux. Pour moi j'ai compris, préparé par les lettres de mon beau-père, par mes souvenirs marocains, qu'il ne fallait demander à l'ancien généralissime ni des réactions optimistes ni le sentiment de l'Empire.
Ci-dessus : Extrait d’une lettre du Lieutenant général PANCHAUD, chef de la mission militaire française à Bogota, suite à l’intention du chef de Bataillon Diego BROSSET de rejoindre le général de Gaulle. « Il ne vous échappera pas que tout refus d’exécuter les ordres donnés du gouvernement français entraîne pour vous le double crime de rébellion et de désertion à l’étranger ». Diego Brosset lui répond le 17 octobre 1940 sur le même courrier en lui confirmant sa décision. "Après avoir pris connaissance du présent document, qu'à la date à laquelle je cesse de faire partie de la Mission Militaire Française, je me mets aux ordres du Général de Gaulle et que dorénavant j'aigirai suivant les instructions de cet officier général". Fait à Bogota le 17 octobre 1940 . "Le commandant Breveté BROSSET de l'IC"
L'âge aussi du maréchal était une excuse, on ne pouvait attendre de ses 80 ans les réactions vigoureuses d'un homme dans la force de l'âge. Votre présence au gouvernement paraissait à l'étranger se justifier comme celle du capitaine de navire à son bord quand il y reste encore de ses gens qui n'échapperont pas au naufrage. A l'étranger, Français et amis de la France attendaient la réaction des Français d'outre-mer ; elle est venue. Et alors, mon général, vous avez accepté d'aller en Afrique pour étouffer cette réaction de l'honneur français. Sentez-vous votre responsabilité ? Sentez-vous que le poids de votre autorité peut jeter le doute dans l'esprit des jeunes hommes qui se réveillent du terrible choc opératoire de la défaite ? Qui avaient peut-être à se réveiller d'un plus lourd sommeil encore, de celui qu'avait appesanti sur leurs âmes l'influence de chefs trop vieux, trop sceptiques ou trop las ? Vous le sentez et c'est pourquoi vous avez voulu aller en Afrique. Je n'y peux pas croire. On devrait donc oublier le respect qu'on avait pour ses chefs, comme la fidélité à ses alliés, comme la foi dans son pays, comme l'enseignement reçu des générations précédentes ; celui-ci par exemple qu'une troupe qui est intacte ne se rend pas sans perdre l'honneur ?
II faudrait alors prêter au gouvernement du maréchal, après la naïveté d'espérer que l'Armée française battue sera sauvée, que la France vaincue gardera son empire, il faudrait lui prêter dis-je l'imbécilité de prétendre regénérer un peuple en reniant ses traditions, de lui rendre une morale en bafouant ce qui l'étaye et un honneur en partant de la honte. Nous sentions que l'imbécilité intellectuelle où sombrait le peuple français ces dernières années devait le conduire à sa perte et on nous demanderait aujourd'hui une plus grande débilité encore ? Car qui peut prétendre qu'on édifie une régénérescence morale sur le vil, qu'on enseigne la force par l'abandon ? Le Maréchal Pétain croit-il qu'on a pu admettre sa thèse de la capitulation sans déshonneur ? Ne comprend-il pas qu'on a senti à l'étranger que les mêmes méthodes continuaient avec les mêmes hommes quand il a publié, comme un vulgaire président du conseil des années précédentes, son refus de signer ce qu'il signait déjà ? Mêmes méthodes des mêmes hommes, je peux le répéter, puisque les généraux Noguès, Mittelhauser, Catroux, après avoir dit qu'ils ne se soumettraient pas, se sont soumis.
Mais je rends hommage aux deux derniers s'il est vrai qu'à présent ils réagissent. J'espère pouvoir vous rendre incessamment le même hommage, mon général, mais si je n'en devais avoir l'occasion, je plaindrais Jacques qui vient de se marier et je vous plaindrais pour les petits-fils que vous allez avoir : enfants qui ne pouvant comme les miens, se vanter du geste des Allemands renversant la statut de leur grand-père, sachant trop bien que celui-là du moins ne se serait pas rendu, vous mépriseront comme me mépriseraient peut-être mes enfants si je ne leur réservais la preuve, avec la copie de cette lettre, que faute de pouvoir aller combattre, j'ai du moins voulu me compromettre avec ceux qui ont le loisir et l'honneur de le faire aux côtés de celui dont l'homme de la rue, aujourd'hui, ici dans la lointaine Amérique Latine, ajoute le nom à son "Viva Francia" lorsqu'il croise un officier français en tenue. Je reste encore, mon général, respectueux, comme je l'étais, de votre passé, mais si inquiet, désormais pour votre gloire.