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Le 20 novembre 1944, le Général Diego Brosset tombait à la tête de la 1ère Division Française Libre, en pleine victoire, aux portes de l'Alsace. En annonçant cette nouvelle, la radio française prononçait pour la première fois son nom. La France apprenait à la fois l'existence et la mort d'un de ses plus beaux coloniaux, d'un des plus prestigieux commandants de Division de son Armée, et l'existence d'une grande unité qui, depuis 1940, avait combattu sans interruption.
Mais qui le sait aujourd'hui ? Les Troupes de Marine, elles, se souviennent.
A chaque anniversaire de cette mort glorieuse, près du Pont de Bir-Hakeim, un détachement de l'Arme - du 1er ou du 2ème RIMa - Compagnons de la Libération - présente les armes devant un monument. Il n'y a là aucun badaud, seulement quelques veuves, des orphelins aux côtés d'anciens de la Division, coloniaux, tirailleurs et légionnaires au coude à coude.
Ils se souviennent de leur chef dans cette journée froide et pluvieuse de novembre face à cette stèle :
« Au Général Diego Brosset mort au Champ d'Honneur, à la 1ère Division Française Libre, à ses 4 000 morts, aux braves et aux fidèles qui répondirent à l'appel du Général de Gaulle de juin 1940 et combattirent 5 ans pour libérer la France dans l'honneur et par la victoire : (...)
(...) Afrique Centrale, Érythrée, Syrie, Libye, Bir-Hakeim, Tunisie, Italie, Provence, Vosges, Alsace, Tende ».Ils se souviennent de leur général, présent au milieu d'eux en plein combat. Ils avaient confiance en lui qui, au plus fort du danger, riait.
« ... J'entraîne ma Division comme une Compagnie, je grimpe sur les chars en marche, j'engueule Pierre et Paul, je dis merde aux obus et ça avance. « Je ne serai jamais un vrai général. « Mais ma Division est une vraie Division ! ».
Ils le voient encore, viril et rayonnant, vraie force de la nature, conduisant sa jeep à tombeau ouvert, et le retrouvent dans la description que donne de ce « pur-sang » le Maréchal de Lattre :
« ... Le premier, bâti en athlète, m'arrive comme toujours en chemise et en short anglais... Tous les deux (le second nommé est le Général de Monsabert) bouillonnent de dynamisme et ont hâte de conduire au feu leur Division, comme ils en ont l'habitude, en sous-lieutenants, mais des sous-lieutenants qui connaîtraient à fond le métier de général... ».
Il faudrait un volume pour dire ce qu'était le Général Brosset, une encyclopédie pour dire ce qu'il savait, une bibliothèque pour contenir ce qu'il disait.
Né en Argentine, d'où son prénom, il se trouve adolescent à Dole, au collège des Jésuites, pendant la première guerre.Il arrache à ses parents l’autorisation de s’engager en 1916 à quelques jours de ses 18 ans.
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Il restera 28 ans dans l’Armée, vivant à un rythme endiablé. Sa carrière se déroule en quatre phases : la première guerre, la vie méhariste, l’École de Guerre et l’État-Major, enfin la 1ère D.F.L.
C'est en sportif accompli qu’agent de liaison il porte des ordres, courant seul sous les obus, que grenadier d’élite il enlève une tranchée ; caporal, il patrouille et fait des prisonniers ; sous-officier, il assure une liaison dangereuse entre deux bataillons séparés par l’ennemi, puis dans la foulée de cette prouesse, il enlève sa section à l'assaut : tels sont ses cinq motifs de citations et, à la fin de la guerre, la raison de sa promotion au grade d’aspirant. Que peut-il faire au lendemain des hostilités dans un monde qu’il découvre ? L’Armée lui convient, il se sent une vocation coloniale, il sera donc officier : reçu 3° à Saint-Maixent, il en sort second dans l’Arme.
Sa nouvelle vie débute par un stage à Joinville. Athlète à la musculature puissante, il s’y prépare à une vie d’action, à une aventure méhariste qui va s’échelonner sur dix années (1921-1931).
Dans la vie, le sport, le flirt, le savoir, il n’aura jamais qu’un but : faire de soi quelque chose ; et ce quelque chose se devait d'être exemplaire.
Ce ne fut pas un méhariste ordinaire que Diego Brosset : ferme pour les hommes de son Goum, il en a un amour profond, il les connaît, parle leur dialecte, vit habillé comme eux, les cheveux longs et luisants de beurre. Dur à la peine, infatigable, il entraîne son monde comme s’il cherchait en tout sa limite : la perfection. Il adore la vie, il adore tout de la vie.
- il cultive son corps : il rattrape un chameau à la course et le jette à terre ; un tirailleur s’asphyxie au fond d'un puits, il descend au bout d'une corde et le sauve,
- il forge son caractère : puni pour une faute « inexplicable pour un officier de cette valeur », il fait observer à son supérieur qu’il ne devrait pas donner d’ordres inexécutables, ce que sanctionnent de nouveaux jours d'arrêts ;
- Il remplit intégralement ses missions, c'est la réduction des taches de dissidence, c'est le combat et la pacification française, c'est avec la Compagnie de la Saoura la première reconnaissance de Tindouf la mystérieuse en 1925.
Quatre nouvelles citations rappellent son endurance, son courage, elles portent que chaque raid fut mené avec une extrême rapidité et qu’avec le succès, Brosset ramène de précieux levés topographiques, que ses hommes et ses chameaux sont encore en excellent état physique. La sécheresse, la fatigue, le combat sont sans prise sur lui.
Enfin, il perfectionne ses connaissances : il parle l’espagnol, l’arabe, les dialectes berbères ; s’intéresse à l’ethnologie, la géophysique et la philosophie.
Il aime, avec un certain dilettantisme amener la conversation sur le terrain philosophique et développer ses thèses en jouant du paradoxe « cette vérité qui s'ignore ». Il a, dans son poste du désert repris ses études classiques latin, mathématiques histoire, et, féru de littérature, trouve le temps de satisfaire son amour de la lecture.
Méhariste extraordinaire, mais aussi homme extraordinaire, au corps puissant, au cerveau meublé explorateur et ethnologue, combattant et pacificateur, diplomate et organisateur, c'est, en un mot, un officier complet
Le désert l’a passionné quand il y était, il l’obsède lorsqu'il l’a quitté. Il lui faut tourner la page, mais comment ? Il devient écrivain, pour se libérer.
Un roman saharien nait, il y montre dans une atmosphère d'étrange réalité son amour des hommes qui est le fondement de sa belle nature.
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Les jeunes officiers devraient lire « Un homme sans !'occident ». Vercors a tracé le « portrait d'une amitié » en guise de préface à ce livre. On y voit une étude psychologique de Brosset qui convient au sujet.
La page est tournée, Brosset, capitaine en 1930, se trouve en Métropole à la Section d’Études, dénommée Section d'Outre-Mer par la suite.
Il consacre deux ans à l’École des langues orientales dont il obtient le diplôme, et se fait breveter observateur en avion. Le savoir et l’action sont chez lui toujours menés en parallèle.
Et il se marie. Il croit trouver une épouse capable de le comprendre et de le suivre et il choisit Jacqueline Mangin, fille du général Mangin. Mme Brosset possède le caractère et la solide tradition militaire et coloniale de sa famille.
Voilà donc Brosset dans la troisième phase de sa vie militaire. Il va se préparer à l’École de Guerre. Comment ? Il continue de s'instruire mais aussi participe aux combats comme officier des Affaires Indigènes dans l'extrême Sud Marocain et acquiert une nouvelle citation.
Puis il exerce le commandement militaire et les fonctions d'administrateur civil du territoire d'Akka.
C'est ainsi qu’il apprend l'anglais et prépare le concours de l'École Supérieure de Guerre à laquelle il est admis en 1937. C'est du paradoxe comme toujours.
La deuxième guerre le trouve à l'État-Major du Corps d'Armée Colonial. La manière de faire la guerre et le comportement de ses chefs le surprennent. Son comportement surprend également ses chefs. Une de ses lettres antérieures à la défaite nous le montre étudiant la guerre de Pologne et pensant aux combats qui se préparent. Tout l'hiver il ne cesse de tirer le signal d'alarme, il se heurte à un entêtement rogue, un manque inouï d'audace et d'imagination.
Ses chefs sont las de ce Cassandre, le jugent ardent certes, mais impulsif ; (....)
(...) il est pour eux un officier d'une activité débordante qui cherche à résoudre par lui-même toutes les questions, « de là surgissent parfois des difficultés avec ses supérieurs et ses subordonnés ».
Il se résout à tourner le dos au baroud, et obtient - moitié de gré, moitié par ordre - d'aller enseigner « aux indigènes colombiens ce dont l'Armée française ne veut pas ». Brosset s'en va : le voilà professeur de stratégie et de tactique à l'École de Guerre de Bogota.
Il est facile d'imaginer la joie qu'il éprouve à rallier le général de Gaulle le 24 juin 1940 et de quel rire il accueille la condamnation à mort par contumace qui s'ensuit.
Il rejoint la Grande-Bretagne et devient chef d'État-Major du général de Gaulle
HIVER 1941 BROSSET PARLE A LA RADIO DE LONDRES
[…] Un autre soir, on avait annoncé : « Le lieutenant Brosset vous parle. » Brosset ? Le mien était lieutenant-colonel … C’était lui. Je reconnu sa voix fougueuse et bien timbrée. Il s’adressait à ses camarades d’Afrique, que commandait Weygand. A celui-ci, nous le sûmes plus tard, il avait écrit dès après l’armistice, se réclamant de leur amitié et du souvenir de Mangin, son beau-père, pour l’assurer de son respect ou de son mépris selon l’attitude qu’il prendrait dans la suite de la guerre. Pour toute réponse Weygand l’avait fait juger par contumace, condamner à mort comme de Gaulle, avec confiscation de tous ses biens. Mais à l’époque je ne savais rien de lui depuis sa lettre du Panama et je me demandais sans trop d’inquiétude il est vrai, quel camp il avait choisi … Je ne fus pas surpris d’apprendre qu’il était à Londres avec les Français libres ; mais rassuré, heureux et fier que, jusqu’à présent, mes grands amis personnels eussent tous opté pour le refus. Je ne les avais donc pas trop mal choisis. […]
Vercors « La Bataille du silence »
Son activité est appréciée, alors, à sa juste valeur par son chef qui prédit le merveilleux commandant de Grande Unité qu'il sera. L'Éthiopie, le Liban, l'Est Syrien sont les étapes rapides qui lui permettent d'arriver enfin au combat
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Commandant la 2ème Brigade Coloniale, il l'entraîne dans un corps à corps farouche à l'assaut des hauteurs - réputées imprenables - de Takrouna en Tunisie. Il est heureux.
Mais le Général de Larminat, puis le Général Kœnig quittent la 1ère DFL. Brosset, qui n'est pas le plus ancien des colonels, en reçoit le commandement.
Ce n'était pas chose facile : la Division composée de Français libres avait déjà un beau palmarès à son actif.
Pour eux, c'est un nouveau qui les commande, auréolé de l'action de Takrouna certes, mais qui en parle ?
Et personne n'en parlera jusqu'au jour de sa mort, puis, le silence retombera.
Les vainqueurs de Narvik, Kub-Kub, Keren, Massaouah, le Levant, le col d’Halfaya, Bir-Hakeim, El-Alamein, se sentent frustrés.
Eh bien, Brosset va les prendre en main à son habitude. Il se constitue un État-Major, réarme la Division et l'entraîne au combat
dans les exercices en vraie grandeur qui durent une semaine. Il impose une discipline rigoureuse. Il mène sa vie comme sa voiture, à 100 à l'heure. Il dort peu, à 4 h. il est debout, sortant de son camion PC sans faire de bruit pour ne pas réveiller son aide de camp. Un peu plus tard il fera sa culture physique, galopera à cheval. Il parle, ordonne, écrit, enseigne.
Il accorde tout juste vingt minutes de tranquillité à son État-Major pour faire une sieste qu'il pratique n'importe où, à l'occasion, allongé en slip sur la pierre tombale d'un cimetière malodorant bouleversé par les obus.
Pour son anniversaire, il saute à pieds joints sur une table devant son État-Major rassemblé pour cette démonstration :
« Et j'ai 45 ans ».
S'il va à Alger « où en vingt-quatre heures on apprend plus l'intrigue qu'en deux ans de bivouac » c'est pour obtenir l'envoi de sa Division au combat.
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Ses impressions, ses sentiments, ses décisions font l'objet de longues conversations avec son chef d'État-Major à qui il raconte tout.
C'est sa manière particulière de travailler, il parle, met en parlant de l'ordre dans ses idées, puis va rédiger ses notes ou ses ordres.
La discipline intellectuelle est facile pour ceux qui lui obéissent, ils connaissent tout de lui.
Le Corps Expéditionnaire Français dont les exploits sont déjà connus, accueille fort bien la D.F.L. en Italie.
Le combat commence aussitôt, le général y donne toute sa mesure. « Toujours en tête des unités engagées comme il sied », - écrira le Général Juin - Brosset fonce ; la ligne « Gustav » cède aux assauts ; des villages âprement défendus sont enlevés, la ligne Hitler est percée le 18 mai 1944 aux Monts Calvo, Santa-Maria et Morone, les faubourgs de Pontecorvo pris.
L'ennemi bousculé à Montefiascone et Bolsena ; Radicofani enlevé de haute lutte ; la Toscane est ouverte (1).
On le voit partout, en première ligne, toujours avec les unités de tête qu'il lance dans la bagarre, toujours en liaison par radio avec son chef d'E.M., modifiant les emplacements et les ordres en fonction du terrain, redressant les situations.
Le journal de marche de la Division sec, sans sève, comme un horaire des chemins de fer : tant pis pour les historiographes.
« Je fais la guerre, c'est l'important, de toutes façons on la rebâtira après coup » répond-il à ceux qui s'en soucient.
Et l'appui donné aux Canadiens voisins, l'assistance apportée à la division voisine pour atteindre son objectif, la récupération de l'armement lourd d'un bataillon d'une autre division, jamais il ne faut en parler. C'est l'ordre.
Ce qu'il aime, c'est après avoir entendu de près les obus, les balles et les mortiers, revenir à sa roulotte où l'attendent des fleurs. Il racontera sa journée, le merveilleux de l'action, la beauté de San Andréa, la laideur de Torre Alfina.
Pour chaque officier tombé il a un mot. Ceux du 22ème BMNA, ceux du BM ... « Magny, un chef irremplaçable... La journée a été dure, le « Pacha » est parmi nos morts... Fougerat du BM 4 y est resté... Encore trois, tous mariés... Un coup dur du sort, le Colonel Laurent-Champrosay... Ainsi va la guerre ! »
Chaque jour avec sa joie, chaque jour avec sa peine.
Les ordres rédigés d'un trait, il récite à haute voix les plus beaux vers de la langue française ou déclame du Shakespeare : c'est la détente après le combat, un verre de whisky à la main.
Demain il repartira...
En août, le Général prépare ses hommes au débarquement en Provence.
Les éléments de combat de la Division moins un bataillon, seront de la fête.
Le Général de Gaulle est venu voir ses fidèles du début et remettre la Croix d'officier de laPage 6
Légion d'honneur au Général Brosset : l'épopée de la reconquête continue.
Toute la division est en émoi, pour ceux qui partent c'est le retour après quatre ans, pour ceux qui doivent attendre, ils hurlent à l'injustice : ils veulent avoir le pas sur les formations venues d'A.F.N. arguant de leur antériorité au combat. Il leur crie : « Vous êtes des intolérants et des Trotskystes ».
Mais lui, qui revient d'une conférence du Général de Lattre, le 12 août, lui, Brosset, est à la fois curieux et anxieux. Il en est bougon et ce n'est pas son habitude.
Pour sa Division, il n'y a guère de manœuvre possible, c'est l'assaut de front sur les plus dures défenses de la côte sud, dans une direction où les réserves ennemies peuvent le plus facilement intervenir.
Hyères, Toulon, notre objectif, ce sont de durs morceaux. Il a en conséquence bien étudié, bien préparé son affaire.
« Je veux bien penser à la manœuvre, mais je m'attache d'abord aux possibilités de la réaliser. C'est évidemment d'un petit esprit, mais si mon verre est petit, je bois dans mon verre.
L'essentiel dans un débarquement n'est pas le travail du 3ème Bureau mais celui du 4ème ».
Le 16 août il prend pied à Cavalaire et salue la plage d'un « bonjour ».Apparemment il n'a qu'une faible émotion, il bouscule même un officier qui à ses côtés (...)
(...) prétend s'agenouiller « assez, pas de comédie ! ».
Certes il s'était bien promis de ne pas engager trop vite ses hommes, de tâter le terrain, mais à peine débarqué, il se porte près du Gapeau, au point extrême atteint par les Américains qui piétinent. Il juge la situation, voit une occasion, il appelle son monde, le jette en avant, pousse les uns, tire les autres, reconnaît tout seul des itinéraires, insulte les lambins, fait bombarder un fort, tirer sur une hauteur, pousse des chars à l'aide des éléments débarqués de la 9ème D.I.C. En liaison avec celle-ci, trois jours de durs combats sont menés contre les bétons et les villages fortifiés, dans les forêts de pins qui brûlent, et viennent à bout de la ceinture de défenses orientales de Toulon (2).
Le 23 l'ennemi cède, enfoncé à coups d'artillerie. « Je suis entré le 23 à Toulon, vers 23 h. presque le premier, il s'y trouvait depuis peu deux chars de chez moi. Arrivé dans le quartier de Saint-Martin-du-Gard, j'ai été entouré de bras de femmes et de mains d'hommes...
Cette reconnaissance en avant, un peu inattendue de la part d'un Commandant de Division, n'était pas sans raison, encore qu'elle soit peut-être un peu facilitée par mon tempérament ».
Ah ! On entendra parler à la popote de baisers de jolies femmes, de soleil et de fleurs... mais quand il sera seul dans sa roulotte, nous savons qu'il pensera à la dureté du combat... 850 hommes dont 14 officiers ont été tués.
La Division s'arrête, la 9ème D.I.C. poursuit l'attaque et entre à Toulon (3).
Il en est heureux pour la Coloniale, un peu surpris cependant de ne pas avoir été invité à la revue qui marque la prise de possession de la ville.
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Été 1944 : BROSSET EN FRANCE
Les événements se précipitaient. Les alliés ont débarqué à Hyères et Brosset, sur sa jeep, est entré à Toulon le premier pour entraîner des forces hésitantes. Maintenant il remonte le Rhône et ne verra jamais les Allemands, dira-t-il, que de dos.
Vercors « La Bataille du silence »
C'est ensuite la remontée du Rhône et son coup d'audace qui lui permet d'occuper Lyon, berceau de sa famille.
Général de division, gouverneur de Lyon, il y remet de l'ordre, fait cesser les coups de feu, prépare l'inévitable revue, assiste à la messe d'action de grâces à Fourvière, préside la cérémonie au fort de la Duchère en mémoire des fusillés.
Après les contacts avec les pouvoirs civils, il s'oblige à recevoir
« les personnalités de luxe qui traînent autour des gens en place ».
Il vit dans son camion PC, sa roulotte, qu'il a placée dans la cour de l'Hôtel de Ville.
En jeep, suivi du CMC, il a monté les escaliers d'honneur
Mais cela le lasse vite, il reprend la route vers le combat. Ce sera la dernière étape de sa vie.
Comme par le passé, ces quelques mois vont être bien remplis. Une certaine déception se manifeste dans ses propos, il assiste à des querelles de personnes, son amour du vrai lui fait juger sévèrement quelques chefs, il se préoccupe de la situation dans laquelle se trouve la France libérée.
Les visites fréquentes de personnalités lui donnent l'occasion d'exprimer ses idées sur l'avenir de l'Armée.
Il est souhaitable que son journal intime porte des traces de ces préoccupations et donne quelques détails - sur la bataille d'Autun par exemple - qui serviront à l'histoire. En attendant, cela donne Lieu au P.C. à de longs monologues.
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Mais toujours le refus, quoiqu'on l'y incite, d'écrire son histoire, il ne sera pas son hagiographe. Ses moments de détente : des causeries avec Malraux dont il subit le charme et avec qui il s'accorde sur le fond des idées.
Et puis, Eve Curie «intelligente et modeste» qu'il a arrachée à l'entourage de de Lattre.
Les F.F.I., les volontaires ont remplacé les noirs fidèles qui comptaient pour une bonne part dans les rangs de la Division.
Brosset ne doute pas de leur vaillance, en revanche il s'inquiète de la cohésion de ses unités ainsi recomplétées.
Par sport et par goût, il se montre à ses hommes, en képi, en short comme toujours, conduisant lui-même sa jeep découverte dont la sirène mugit. Il chante, au matin, dans le froid glacial des Vosges, heureux de ses 46 ans tout neufs. Pour aller plus vite d'une brigade à l'autre il emprunte le no man's land.
Le 20 novembre 1944, la Division est engagée depuis 60 jours. Après avoir flanqué et aidé les offensives du 2ème C.A., elle participe à l'offensive du 1er C.A.
Tantôt exagérément étirée, tantôt resserrée pour enfoncer un coin dans l'ennemi, elle a été sans cesse au feu.
Le général se dépense, roulant dans la neige, se multipliant pour pallier la fatigue qu'il sent chez ses hommes.
La Division au contact sur 22 km n'a pu enlever Ronchamp. Le combat s'enlise, le général relance son régiment de reconnaissance, il a emmené son chef d'état-Major en avant « pour le détendre ».
Un éclat de mortier les touche tous les deux, râpant le cuir chevelu de l'un et s'enfonçant sous la clavicule gauche de l'autre à 3 ou 4 cm de profondeur : sa première blessure.
Le sort avertissait ainsi le général qu'il n'était pas invulnérable comme il le croyait.
Il n'en a cure, Ronchamp, la Chevestraye, Champagney, Plancher Bas, Plancher Haut sont enlevés. Brosset excité, impatient, pousse ses groupements en avant, les entraîne. La neige, les mines, des obstacles barrent la route. Il fallut s'arrêter, un bon ange semblait vouloir le freiner.
Mais Brosset voulait aller plus vite, toujours plus vite. Jamais il n'avait paru aussi fougueux, aussi impatient.
Il s'écria plusieurs fois « la vie est magnifique... ».
« Voilà qui est merveilleux, en ce moment nous sommes dans la guerre et dans la boue, et ce soir je serai dans ma roulotte avec mes beaux chrysanthèmes... c'est merveilleux! »
Ce furent ses derniers mots...
Sur le pont du Rahin, miné par l'ennemi, le général freine brusquement pour éviter les sapeurs au travail. La voiture dérape, hésite,Page 9
culbute dans la rivière... On ne retrouvera son corps que deux jours plus tard.
La Division poursuit sa poussée victorieuse, le Ballon d'Alsace, Thann, marquent sur le terrain la limite de sa victoire. Le dispositif ennemi est percé mais le succès ne sera pas exploité.
Le général est mort avec 300 des siens dans cette victoire. [… ]
Par la suite, fidèle à l'exemple que lui donna son général, la 1ère DFL brisera sur l'Ill en janvier 1945, les assauts allemands, méritant ce message de Leclerc « Bravo ! En somme la 1ère DFL aura probablement sauvé Strasbourg après que la 2ème DB l'a prise ».
Elle participe à la prise de Colmar, dans la dure mission de protection du flanc gauche de l'attaque américaine.
Elle a perdu 5.356 hommes en moins de six mois. Mais c'est sur les terres reconquises de Tende et de Brigue que nos coloniaux devaient finir la guerre après que la 1ère DFL eut enlevé d'assaut les monts et les ouvrages bétonnés qui l'en séparaient, ajoutant le sacrifice d'un millier d'hommes tués ou blessés à ceux qu'elle a déjà consentis.
La 1ère Division Française Libre est, pour la quatrième fois, citée à l'Ordre de l'Armée.
Gloire aux Coloniaux qui représentaient les deux tiers de ses effectifs.
Gloire au Général Brosset, mort pour la France à 46 ans, commandeur de la Légion d'honneur, Compagnon de la Libération (4), douze fois cité.
Général SAINT HILLIER
Compagnon de la Libération - décret du 20 novembre 1944
- Croix de Guerre 1914-18 (4 citations)
- Croix de Guerre 1939-45 (4 citations)
- Croix de Guerre des TOE (5 citations)
- Médaille Coloniale avec agrafes "AOF", "Sahara", "Maroc"
- Croix du Combattant Volontaire
- Legion of Merit (US)
- Chevalier de l'Etoile Noire (Bénin)
- Officier du Ouissam Alaouite (Maroc)
Biographie de Diego Brosset, Compagnon de la Libération sur le site de l’ Ordre de la Libération