Né à Buenos-Aires le 3 octobre 1898 (huit jours exactement avant Kœnig), le petit Diego découvre la France deux ans plus tard. Comme ses frères, il sera vite mis en pension chez les jésuites, ce qu’il supporte assez mal, physiquement et moralement.
L’armistice le surprend à l’école d’aspirants d’Issoudun. C’est, note-t-il dans les carnets qu’il a commencé à tenir, « la fin d’une époque intense où quelques-uns, beaucoup même, étaient plus brutes que jamais, mais où d’autres, au contraire, se dépassaient, s’exaltaient ; (...) la fin d’une époque héroïque, qu’on ne regrette pas, qu’on ne peut pas regretter, mais qui n’en reste pas moins, dans le souvenir de ceux qui l’ont vraiment vécue, une époque noble
Dès 1914, il n’a qu’une idée : partir, s’engager comme son frère aîné, mais il n’a que seize ans ! Il lui faut attendre d’avoir dix-huit ans pour contracter un engagement pour la durée de la guerre dans les chasseurs à pied. Il reçoit son baptême du feu au fort de la Malmaison en octobre 1917 et y récolte sa première citation pour sa « très belle attitude » au combat. Promu caporal en février 1918, il ne cesse dès lors de se distinguer d’abord dans la Somme, puis sur les plateaux du Soissonnais, où il sera nommé sergent et à nouveau cité à l’ordre du bataillon.
Aspirant en avril 1919, il participe au défilé de la Victoire le 14 juillet suivant, dans les rangs de son régiment de chasseurs ; deux mois plus tard, il décide de signer à nouveau un engagement dans l’armée pour deux ans et de préparer l’école d’infanterie de Saint-Maixent, permettant aux sous-officiers d’accéder au statut d’officier.
Il se donne à fond à la fois à l’étude et au sport : il sera champion de France militaire du 800 mètres et du 1500 mètres. En outre, escrimeur de bon niveau, il séjournera également à l’école de gymnastique et d’escrime de Joinville.
Sous-lieutenant, il est d’abord nommé au Soudan en 1922. Deux années durant, il y mène une vie de méhariste, à la fois très active et très axée sur la vie spirituelle. Elle lui inspirera de superbes pages de ses carnets, comme celle-ci, qui atteste que ce garçon d’à peine vingt-quatre ans est animé de très hautes préoccupations :
« Le désert est un cloître, mais un cloître immense, silencieux, quoique clair et ouvert au plein ciel, comme ceux des chartreux les plus sévères. [… ]. Comme nos studieux aînés, je décompose mon temps entre l’étude et la méditation. Mes modèles sont Psichari et Foucauld, mais l’inspiration qui fournissait à leur réflexion une pâture n’est pas la mienne. Ma méditation, souvent religieuse en son essence, ne l’est pas dans son but et ne le sera pas en ses résultats. Jamais je ne sens ma raison se diriger vers une croyance ; bien au contraire, le doute s’affirme en moi seule certitude. »
II ne se limite pas à la seule méditation, nourrie de la lecture de Bergson et de Maritain, il lance ses hommes et leurs chameaux dans de longues courses, partage la vie des habitants du désert, s’initie à leur culture et, de temps à autre, fait le coup de feu contre les partisans. Deux ans plus tard, il se retrouve dans le Sud algérien, à la tête d’un peloton de méharistes, puis, en 1925, séjourne une première fois en Mauritanie : troisième pays, mais c’est le même désert, qui lui inspire une Etude critique des méthodes méharistes éprouvées par l’expérience. C’est, nous dit sa biographe, « un méhariste heureux », très bien noté par ses supérieurs, encore qu’on le trouve un peu jeune pour commander un peloton à fort effectif.
De cette époque date cet étonnant portrait dû à l’un de ses camarades, le lieutenant Magré :
« Brosset a 28 ans. A cet âge, il est permis de nourrir de grands espoirs, aussi ne nous étonnerions-nous pas qu’il fût ambitieux, s’il ne professait en même temps un scepticisme pur et un agnosticisme intégral Dire que Brosset est ambitieux ne suffit pas pour saisir ce caractère vaste et complexe ; il faudrait y ajouter son sens de la diplomatie et de l’affabilité. Quand Brosset est serviable, il l’est sans détours. Ses jugements sur autrui, encore qu’ironiques, ne sont jamais méchants. Il a pénétré tous les secrets de la psychanalyse et, disciple heureux de Marcel Proust, il est particulièrement habile à découvrir et isoler les “multiples petits bonshommes”, comme dit ce dernier, qui composent le moi. Mais ne croyez pas que Brosset soit uniquement un homme de pensée ou d’action vaine ; ce serait oublier que le lieutenant Brosset est un soldat. Admirablement doué physiquement, capable de tous les efforts, il possède toutes les vertus guerrières. »
Magré insiste sur sa grande intelligence et sur l’étendue de sa culture : « Brosset, assure-t-il, est le prototype de la culture vaste et variée, il travaille dix heures par jour, six heures la nuit. Il étudie l’arabe, l’espagnol ; il fait revivre la langue azer [une vieille langue du Sahara occidental qui sera étudiée plus tard par Vincent Monteil et par Théodore Monod] mal en point. Il s’intéresse à l’astronomie et aux procédés topographiques.La littérature européenne moderne, les questions sahariennes, islamiques, de la race jaune, n’ont plus que de rares secrets pour lui. On tremblerait si le lieutenant Brosset n’était doué d’une puissance de travail qui ne connaît pas ses limites, ce qui, par ce côté, l’apparente aux grands hommes. » Cet ensemble de qualités, auxquelles il ajoute la ténacité, autorise le lieutenant Magré à prédire à son camarade les « plus hauts sommets des honneurs républicains ». Brosset n’a pas trente ans, mais son charisme naturel opère à plein : on l’aime, on l’admire, on l’envie ; on est séduit, et souvent fasciné. Un autre camarade, le lieutenant René Génin – qu’il retrouvera dans la France Libre – lui dédie une ballade, où Diego apparaît « seul, assis au haut bout, car il n’a pas d’égaux ».
En 1927, il achève un roman, qu’il intitule Il sera beaucoup pardonné, où il a mis beaucoup de ses rêves et de ses actions, et un court récit, Emmaüs, qu’il envoie à François Mauriac. L’appui du grand écrivain ne convainc pas Grasset de publier ces premiers essais mais cette déconvenue ne décourage pas Brosset de continuer à écrire. L’année suivante, il regagne la métropole pour un séjour de deux ans, d’abord à Coulommiers, puis en Espagne où il est envoyé pour effectuer un stage linguistique. Durant cette période, il se lie avec le sous-lieutenant de zouaves Jean Bruller – qui ne s’appelle pas encore Vercors – immédiatement séduit par son énergie, par sa volonté, par sa vivacité. En 1929, il regagne la Mauritanie pour un nouveau séjour de deux ans Il y écrit un nouveau roman, aussi discrètement autobiographique que le précédent : Un Homme sans l’Occident, tout en assurant le commandement d’un groupe nomade opérationnel.
Durant cette période, il se lie avec le sous-lieutenant de zouaves Jean Bruller – qui ne s’appelle pas encore Vercors – immédiatement séduit par son énergie, par sa volonté, par sa vivacité. En 1929, il regagne la Mauritanie pour un nouveau séjour de deux ans. Il y écrit un nouveau roman, aussi discrètement autobiographique que le précédent : Un Homme sans l’Occident, tout en assurant le commandement d’un groupe nomade opérationnel. Promu capitaine à 32 ans, nommé à la section « Etudes » au ministère de la Guerre, il épouse en 1931 Jacqueline Mangin, fille du général. La vie de bureau lui laisse le temps de fréquenter l’Ecole des Langues orientales, dont il obtient le diplôme, et d’écrire de nombreux articles pour Le Bulletin du Comité de l’Afrique française et pour L’Illustration ; malheureusement les éditions Plon refusent de publier Un Homme sans l’Occident, dont la lecture est jugée «fatigante» en raison de l’abus de mots et expressions en langue berbère. Nommé au Maroc en 1933, il y reste jusqu’en 1937
En 1935, le roman paraît enfin, sous la signature de Charles Diego, aux éditions du Moghreb, moyennant un léger changement de titre : Sahara, un homme sans l’Occident obtient ce qu’on nomme un succès d’estime (il sera réédité à la Libération, avec une présentation de l’auteur par Vercors Brosset prépare le concours de l’Ecole supérieure de Guerre : il y est reçu en 1937 seizième sur 81. Il est heureux d’y entrer, mais il sera vite déçu par l’insuffisance intellectuelle des professeurs et le caractère trop étroitement militaire de l’enseignement : « Le milieu de l’Ecole de Guerre est un milieu sans âme », écrira-t-il. Il ne s’y épanouit pas, mais cela ne l’empêche pas d’être breveté officier d’Etat-major juste avant la déclaration de guerre. Il a 41 ans.
François Broche : Brosset, le chef charismatique Conférence « Les généraux de la DFL ».