ALLOCUTION PRONONCÉE AU NOM DE LA PROMOTION BROSSET

 

Il y a quatre jours, nous, anciens élèves de l’École militaire interarmes, étions réunis à Coëtquidan pour célébrer le cinquantenaire de notre Promotion, la Promotion « Général Brosset ». Également pour parrainer l’entrée dans la carrière d’officier de nos lointains successeurs qui ont choisi comme nom de Promotion « Ceux du Sahel ».

Pour nous, filleuls de ce méhariste qui a sillonné en tous sens son Sahel bien-aimé, nous ne pouvions rêver d’un parrainage plus judicieux que celui-ci. Le nom de cette nouvelle promotion, « Ceux du Sahel », nous rassemble dans le souvenir de tous les méharistes. Ceux d’hier, de l’époque coloniale, et ceux d’aujourd’hui qui, de 2011 à 2023, dans la bande sahélo-saharienne, ont mis leurs pas dans ceux de notre parrain et dont 59 ne sont jamais revenus.

Nous n’avons pas l’intention, ni la prétention, de retracer ici la carrière militaire de notre parrain. D’autres plus qualifiés que nous, des historiens, des écrivains, des philosophes, des amis et des passeurs de mémoire, l’ont remarquablement fait. Nous souhaitons simplement évoquer sa personnalité attachante, aussi complexe que charismatique, son amour de la vie, sa vision des choses et du monde, en somme tout ce qui a fait de lui l’homme hors du commun, à la fois témoin et acteur de son époque, que nous avons choisi comme Parrain.

Sa fille Isabelle, le décrit comme « un homme libre de toutes les contraintes inhérentes à l’esprit de corps ou de caste, un homme qui a su comprendre et épouser l’esprit d’une autre civilisation que la sienne ».

Pour Jacques Chaban-Delmas, « Brosset n'est pas de ces hommes qui vont au désert pour oublier leur passé, pour s'abîmer dans la contemplation ou pour rechercher des traces de l'Atlantide ». Non ! Le jeune officier qu’il est veut « rencontrer, comprendre, protéger ces populations ». Il fait sien le précepte d’André Gide - « Assumer le plus possible d'humanité » -, précepte qui convient parfaitement à ce qu'il ressent, à ce qu'il souhaite et à ce qu'il veut faire.

Dans la lettre qu’il nous a adressée lors de la remise de nos insignes de Promotion, son ami le plus cher, Jean Bruller, alias Vercors, décrypte Diego Brosset. Pour lui « le métier des armes doit être avant tout un tremplin pour de vastes échanges avec les hommes, avec le monde ... un moyen de connaissance, de développement de l’âme, de l’énergie et de l’esprit d’entreprise ».

Notre Parrain n’était pas seulement un chef militaire exceptionnel. C’est l’homme qu’il était et toute sa vie qui furent exemplaires. Et c’est pour cela que nous réaffirmons aujourd’hui notre fierté d’avoir baptisé notre Promotion de son nom.

À la fin de notre album de promotion consacré à la vie de notre parrain, nous avions mis en exergue cette citation de lui qui le résume parfaitement :

« Nous saurons aimer d’une même ardeur les joies de l’esprit et celles du corps, l’action et la méditation, mener la vie comme dans le rêve, ne pas plus sacrifier les femmes aux philosophes que les mathématiques à la bonne chère, comprendre Einstein, mais aussi un chef berbère, Stendhal, Freud et un Toucouleur, pénétrer Mozart ou Bach, conduire sa troupe au combat, mener du même cœur son cheval, un flirt, sa voiture, son savoir et son esprit critique, s’apprendre à courir, à nager, à comprendre l’Angleterre, l’U.R.S.S., la Chine, la chasse à la baleine, la théorie des quanta ; en bref, saisir la vie, posséder Dieu, ne pas craindre, certes de mourir mais moins encore, mais moins surtout, de vivre ! »

À l’image de cette citation, Diego Brosset aura été pour nous, ses filleuls, le poète, l’écrivain, le rebelle, l’homme aux semelles de sable et de vent qui a parcouru des déserts infinis, le soldat de la Grande Guerre, le compagnon de la Libération, l’homme au portrait dessiné façon pochade par son ami Vercors, cet homme dans la force de l’âge, en tenue de Goumier ou bien monté sur son méhara, ce général, jeune, beau, triomphant, conquérant, lumineux et porteur des espoirs de la France. Il aura été aussi cet anticonformiste, terriblement modeste, qui disait de lui, « Je ne serai jamais un vrai général. Mais ma division est une vraie division ! » ; ce général qui après les combats, un verre de whisky à la main, les ordres du lendemain rédigés d’un trait, récitait les plus beaux vers de la langue française ou déclamait du Shakespeare avant d’aller soigner ses chrysanthèmes dans sa roulotte ; ce potache qui, accompagné de Jean-Pierre Aumont, son aide de camp, chantait à tue-tête, au volant de sa jeep, un air tzigane que Germaine Sablon leur avait appris et dont le refrain était :

« Tu ne verras jamais une personne au monde
Qui sache vivre comme moi,
Et plus jamais personne au monde,
Ne saura rire comme moi. »

Cet homme, notre exemple et notre guide depuis 50 ans, nous l’imaginons aujourd’hui, dans son éternité. Par l’une de ces somptueuses fins de journée comme seul le désert peut en offrir. Assis, face au soleil couchant. Il est entouré de tous ceux qui l’ont précédé ou rejoint au Paradis des anciens : Antoine de Saint-Exupéry, Bernard Saint Hillier, Vercors, Jean-Pierre Aumont, et bien d’autres encore, moins connus mais tout aussi méritants. À ses côtés, 40 de ses filleuls qui, comme lui, ont quitté - bien trop tôt, bien trop vite - notre planète bleue. Sans aucun doute, c’est avec compassion et bienveillance qu’il les aura accueillis auprès de lui.

Nous aimerions qu’en nous voyant honorer sa mémoire et perpétuer son exemple, notre parrain se dise : « Je n’ai peut-être pas été un vrai général, mais la Promotion qui m’a fait l’honneur de me choisir comme Parrain est une vraie Promotion ! »

Et pour nous, pour quelque temps encore les survivants, qui savons, comme le renard du Petit Prince, que « l’on ne voit bien qu’avec le cœur », il est réconfortant de penser, avec Tacite, que « le vrai tombeau des morts est dans nos cœurs de vivants ».

Merci mon général ! Merci Parrain !

Lieutenant-colonel Renaud FRANCOIS